Eté 2024, CrowdStrike a perdu 30 milliards de dollars de valorisation en deux semaines. Pas à cause d’une cyberattaque, mais d’une mise à jour ratée qui a paralysé 8,5 millions de machines Windows. Les compagnies aériennes ont cloué leurs avions au sol, les hôpitaux ont dû reporter des interventions, et même l’organisation des JO de Paris a été perturbée.
Un an plus tard, l’été 2025 n’a rien changé à l’équation : en juillet, le CNFPT s’est fait exfiltrer les données de 34 000 intervenants. En France, 1,8 million de comptes ont été compromis entre janvier et juillet, plaçant la France au deuxième rang mondial derrière les États-Unis.
Le mythe de l’été serein est révolu
Je vais être directe : si vous travaillez pour une entreprise de cybersécurité et que vous n’avez pas de dispositif de communication opérationnel 365 jours par an, vous avez déjà perdu.
Perdu car tout arrivera trop tard. Les autres acteurs, analystes, concurrents, journalistes auront déjà pris la parole pour vous. Et l’envoi d’un communiqué de presse corporate un mois après, n’aura aucun impact. Pire : cela ruinera la confiance que vos clients et partenaires vous accordent, bien au-delà de l’incident lui-même.
Le problème n’est pas la réactivité dans la réponse, c’est le vide narratif
La plupart des entreprises de cybersécurité savent réagir vite. Toutes publient des alertes, des bulletins techniques, des conseils de remédiation. C’est le minimum. Mais ce qui fait la différence, c’est d’avoir une thèse, pas juste une réaction.
Quand CrowdStrike tombe, vous pouvez dire « voilà comment corriger l’erreur » (utile, mais oubliable). Ou vous pouvez dire « cet incident révèle une dépendance trop importante aux solutions de protection mono-fournisseur qui met en danger la résilience des infrastructures critiques » (ça, c’est un narratif).
Quand le CNFPT se fait pirater, vous pouvez lister les bonnes pratiques de sécurisation (minimum attendu). Ou vous pouvez expliquer pourquoi le secteur public devient la cible privilégiée des groupes hacktivistes dans un contexte de tensions géopolitiques accrues (ça, ça fait débat).
La différence entre les deux ? L’un répond à l’actualité. L’autre façonne le récit.
Arrêtez de jouer les pompiers, devenez architectes du débat
Les entreprises de cybersécurité qui comptent dans le débat public ne sont pas celles qui réagissent le plus vite. Ce sont celles qui ont un point de vue identifiable, constant, défendable. Elles apportent de la réflexion et de la valeur. Elles relient les incidents entre eux pour créer du sens. Elles anticipent les controverses au lieu de les subir. Elles ne disent pas « voici ce qui s’est passé », elles disent « voici ce que cela signifie et pourquoi cela va se reproduire ».
Concrètement, ça veut dire quoi ?
Il y a trois conditions pour construire une autorité dans le débat cyber : développer une ligne éditoriale structurée autour d’une thèse claire sur l’évolution des menaces et les failles du marché, investir dans une recherche qui dépasse le technique pour couvrir les dimensions stratégiques, sectorielles et géopolitiques, et assumer des prises de position tranchées car les discours équilibrés « d’un côté… de l’autre… » ne créent aucune mémorabilité.
L’IA rend votre visibilité permanente
Il y a un dernier élément que peu d’entreprises intègrent encore : les grands modèles de langage (LLM) se nourrissent massivement des médias pour construire leurs réponses.
Cela signifie que votre visibilité médiatique aujourd’hui devient une infrastructure réputationnelle à long terme. Ce que vous dites sur une faille en juillet 2025 sera cité par des algorithmes en 2027, quand un décideur posera une question à Claude, ChatGPT ou Perplexity.
Votre narratif ne se dilue plus avec le temps. Il se fossilise dans les bases de connaissance de l’IA. Si vous n’êtes pas dans ce corpus, vous n’existez pas dans les réflexes décisionnels de demain.
Pour devenir une référence dans le débat cyber, quatre leviers sont essentiels : créer une cellule de veille qui traque les angles et controverses émergentes (pas seulement les menaces techniques), publier au moins une analyse de fond mensuelle qui prend position, oser un discours clivant plutôt que consensuel, et préparer pour chaque type de crise un narratif stratégique qui explique ce que l’incident révèle sur les tendances de fond.
Conclusion : le silence est une (mauvaise) décision stratégique
Choisir de ne pas avoir de voix continue dans le débat cyber, c’est choisir de devenir invisible. Pas seulement pendant les crises, mais surtout entre les crises.
Parce que c’est précisément dans ces moments sans urgence que se construit l’autorité. C’est quand il n’y a pas de faille zero-day que vous pouvez expliquer pourquoi elles se multiplient. C’est quand il n’y a pas d’attaque majeure que vous pouvez anticiper les prochaines cibles. C’est en dehors des crises que vous créez le narratif qui expliquera…la prochaine crise.
Les entreprises de cybersécurité qui comptent ne communiquent pas « parce qu’il se passe quelque chose ». Elles communiquent « pour que les événements soient compris selon leur grille de lecture. »
La différence est fondamentale : dans le premier cas, vous subissez l’agenda médiatique. Dans le second, vous le créez.
Avoir un narratif fort et continu, c’est faire le choix inverse du silence. C’est décider que votre expertise ne s’active pas seulement en mode pompier, mais qu’elle structure le débat en permanence. C’est assumer que votre légitimité ne se construit pas dans l’urgence, mais dans la constance.
L’été 2025 a prouvé une chose : les crises n’attendent pas. Mais votre narratif, lui, doit exister avant, pendant et après. C’est le seul moyen de ne pas être spectateur de votre propre marché.


