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Liberty Media et sa stratégie de communication pour la Formule 1 : quels enjeux ?

La Formule 1 actuelle est un paradoxe : si elle est devenue une discipline sportive de renommée mondiale grâce à ses conquêtes géographiques extra-européennes (Asie de l’Est, Moyen-Orient, Amérique latine), elle reste peu accessible pour une part non-négligeable de son public. Fruit d’une industrie automobile et technologique dominée par l’Europe et le Japon, la F1 est perçue, à juste titre, comme une discipline « élitiste » exigeant un niveau de vie ainsi qu’une culture automobile pour être comprise. Il est ainsi légitime de se demander si, de par sa nature, elle ne constitue pas elle-même un frein à sa propre promotion mondiale.

Propriétaire de la F1 depuis janvier 2017, la société américaine de médias de masse Liberty Media, fondée en 1994 par John C. Malone, s’est immédiatement emparée de cette problématique en pointant du doigt la stratégie de communication défaillante de la discipline. « Le championnat du monde de F1 est vraiment mal exposé », affirmait le président du Formula One Group, Chase Carey, au quotidien américain The New York Times le 24 janvier 2017. « Il ne fait rien sur le numérique ; il n’y a aucun marketing ; il ne raconte aucune histoire ». C’est de ce constat que la F1, sous la houlette de son nouvel actionnaire, a, depuis deux ans, entrepris une refonte complète de son image de marque. L’objectif étant de stimuler une clientèle plus jeune, diversifiée et connectée afin d’asseoir les conquêtes géographiques de la discipline. Dans cette perspective, deux grandes initiatives ont été menées.

La première vise à rattraper le retard colossal de la F1 sur les plateformes numériques. Avant son rachat par Liberty Media, la marque s’était en effet distinguée par une extrême discrétion sur Twitter, Facebook et Instagram. Pis, la chaîne YouTube officielle du F1 Group n’a vu le jour qu’à l’aube de l’année 2015. Depuis l’arrivée du nouvel actionnaire, les différents comptes officiels de la catégorie reine du sport automobile sur les réseaux sociaux ont été enrichis de publications destinées à rendre plus accessible et interactif un sport mondial resté très opaque. Ainsi, la chaîne YouTube Formula 1 propose aujourd’hui bon nombre de chroniques inédites, telles que de nouveaux formats d’interview, des caméras embarquées immersives, des podcasts et autres quiz insolites visant à montrer un visage plus ouvert du sport. Le récent dynamisme de la F1 sur internet et les réseaux sociaux observé depuis deux ans s’est avéré plus que payant : avec une hausse fulgurante de 53,7% en 2018 par rapport à 2017 et ses 18,5 millions de followers sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube (janvier 2019), la F1 est la marque sportive ayant le plus progressé sur les réseaux sociaux ces deux dernières années.

La seconde initiative vise à mettre en place à chaque week-end de Grand Prix des événements promotionnels présentant la F1 dans un espace médiatique élargi et impactant. Des activités annexes sont ainsi proposées aux spectateurs (tyroliennes, ateliers d’arrêts au stand, tours de circuit dans une biplace, concerts) et diluent la Formule 1 dans une ambiance de festival bien plus vendeuse, notamment dans la plupart des pays d’Asie et du Moyen-Orient où la discipline manque de popularité. Longtemps sous-exploité en F1, le storytelling est également un aspect développé par Liberty Media, à travers la tenue d’événements grand public et mis en scène, tels que le « F1 Live de Londres » du mercredi 12 juillet 2017, au cours duquel des pilotes « starifiés » se sont réunis pour une des démonstrations inédites à Trafalgar Square. Enfin, le lancement, en 2017, de l’e-Sport Series, qui voit les meilleurs « gamers » du monde s’affronter sur le jeu vidéo officiel de la discipline, complète cette offre promotionnelle renouvelée et étendue.

La refonte de la stratégie de communication en F1 est bienvenue. S’il est encore difficile de mesurer l’impact de cette stratégie sur l’évolution du public réel, qui reste in fine sur les tribunes et devant sa télévision, force est de constater que les audiences repartent à la hausse depuis 2017, après une décennie de disette (+10% de téléspectateurs et +8% de spectateurs en 2018 par rapport à l’année précédente). L’objectif d’une audience rajeunie est également atteint : selon une étude Nielsen, depuis deux ans, les nouveaux aficionados de la discipline sont à 61 % âgés de moins de 35 ans, et à 36 % âgés de moins de 25 ans. Pour autant, la communication n’est pas une fin en soi : en effet, l’économie précaire sur laquelle repose aujourd’hui la F1 mondialisée n’est pas le fruit d’une stratégie promotionnelle archaïque : elle résulte d’un déracinement géographique excessif du sport, d’inégalités économiques croissantes entre les équipes qui dégradent le spectacle, ainsi que d’une gouvernance fragmentée par des intérêts divergents et privés. Ainsi, en dépit de l’ouverture de la nouvelle saison à Melbourne les 15, 16 et 17 mars 2019, le lien entre la F1 et son public demeure fragile et ne sera pas renforcé par le simple renouvellement d’une image de marque, mais bien par la mise en œuvre de réformes structurelles.